15 janvier 2017

Portraits de
parisiens

Monsieur Jacques

C’était un soir d’hiver. J’avais un rendez-vous.  J’attendais le signal vert pour m’avancer sur la chaussée quand machinalement, j’ai jeté un regard en arrière. Et je l’ai vu. Il était planté dans le décor de ce bar pur jus années 60, plongé dans cette lumière mare de sang. J’ai hésité, pas longtemps, avant de lui demander si je pouvais le photographier. Il a souri gêné et murmuré : « C’est parce que je suis beau ?  ». Impeccable dans son veston, la barbe bien taillée, le regard droit et triste, bien sûr qu’il était beau. Monsieur Jacques, comme l’appelle le patron du bar, a l’élégance des parisiens solitaires, même si le soir, il aime venir boire son demi avec ses amis qui se font de plus en plus rares. « Ils quittent Paris ou meurent » et les bars du quartier subissent le même sors. « Avant, on se retrouvait pour jouer à la belote, c’était sympa, on se connaissait tous. Maintenant, tout a changé, parfois, j’ai le bourdon ».

Dans une autre vie, il a été cycliste quasi professionnel. Le quartier ? Il le connait comme sa poche depuis 55 ans qu’il y vit. Il a même été pompiste rue Quincampoix. « Il y avait un hôtel très chic où descendaient des princes » raconte-t-il à Alessandro, son copain espagnol. Dans le quartier, il a vu détruire puis reconstruire, puis redétruire et reconstruire Les Halles. « C’était le Rungis d’aujourd’hui. Ça faisait travailler un monde fou, mais c’était humain. Les SDF avaient de quoi manger, il y avait toujours quelqu’un pour leur donner quelque chose ». La Canopée ? « On verra bien ! A l’époque du centre Pompidou – qu’il a aussi vu construire- les touristes nous demandaient leur chemin, on leur répondait : l’usine à gaz ? C’est par là ! » lance-t-il en riant. « Beaubourg ? Bien sûr j’y vais. Enfin je passe devant quand je fais mes courses. Moi quand je sors, je vais plutôt au G20, celui du bout de la rue, pour discuter avec mes copines, les caissières » !