03 octobre 2025

Portraits de
parisiens

Rencontre avec Manon Fleury

Illustrations CASSANDRE MONTORIOL

Dans son restaurant de la rue des Gravilliers (Paris 3e) qu’elle a baptisé Datil, en référence à une variété de prune ancienne, Manon Fleury, nous reçoit entre deux services. Malgré un emploi du temps chargé, la cheffe étoilée est là, accessible et naturelle. Il y a quelque chose en elle de solaire. Autour d’elle, c’est un tourbillon et paradoxalement, une sensation d’apaisement se dégage à son contact. À une table, en retrait, une réunion d’équipe a débuté. Encadré dans la porte d’entrée, un producteur annonce une livraison imminente qu’il s’apprête à décharger. Elle continue tranquillement la conversation et s’illumine instantanément dès que l’on aborde ses valeurs profondes. « Ce que j’entreprends, je le fais par conviction, ça n’aurait pas de sens de faire les choses différemment » lance-t-elle. Elle évoque ses valeurs écologiques et ses engagements et la difficulté qu’elle a parfois à les appliquer face à une réalité complexe et à une multitude de contraintes. « Nos idéaux sont beaux, mais le quotidien nous ramène au réel » lance-t-elle. Pas question pour autant, de reculer ou de s’esquiver, l’ancienne escrimeuse sait s’adapter en terrain hostile : « on fait au mieux. J’aime trouver des solutions avec les moyens que j’ai à ma disposition ».

Datil

13, rue des Gravilliers, Paris 3e

(c) Cassandre Montoriol
(c) Cassandre Montoriol

Quand on aborde le sujet de la place de la femme dans sa cuisine, elle réaffirme son choix de monter une équipe composée à 80% de femmes parce qu’« il n’y a que comme ça que l’on fera bouger les lignes et que nous recevons essentiellement des CV féminins. Je pense que nous renvoyons une image d’un lieu sécurisant et sain. C’est un cercle vertueux et j’espère que l’on inspirera d’autres femmes. Tout ce cheminement infuse, ça va un peu trop doucement pour moi, j’aimerais que les choses évoluent plus vite, mais l’essentiel c’est que ça avance ! ». Avec sa cheffe exécutive et associée, Laurène Barjhoux, elles portent les mêmes valeurs et la volonté d’ouvrir la parole au sein de leur équipe en créant une certaine intimité « parce que ça donne du sens à notre métier ».

Même combat du côté des assiettes à tendance végétale, elles s’adaptent à la saisonnalité et changent la carte en fonction des arrivages en faisant évoluer les recettes tout en valorisant au maximum les produits. « On essaie d’avoir du bon sens, par exemple, utiliser les épluchures des légumes et réussir à en tirer des idées créatives. Par contre, on évite d’être trop radicales, il faut trouver le bon équilibre avec le plaisir et la gourmandise ».

(c) Cassandre Montoriol

Toujours en quête de sensation, d‘émotion et de goût, elle a instauré un programme « dedans-dehors » qui lui permet d’inviter des chef.fe.s ou de partir en résidence, de Biarritz à Montréal. Une façon pour elle de se nourrir autrement. Avant de partir, on lui demande pourquoi elle a choisi Paris pour ouvrir son premier restaurant : « J’ai le syndrome de l’enfant qui a connu l’ennui, j’aime l’émulation de Paris, la vie culturelle de la ville. Je ne me voyais pas ailleurs qu’ici. Et c’est plus simple pour notre logistique. On collabore avec des producteurs à moins de 150 km. C’est important de connaître les personnes avec lesquelles on travaille. On est en confiance mutuellement, on s’engage à les soutenir, à payer leur prix, eux s’engagent sur la qualité et les délais de livraison ». Échanger, créer, avancer ensemble, toujours et encore. D’ailleurs, la nouveauté de cette rentrée, c’est le lancement d’une gamme de produits autour de l’univers du restaurant. Une façon de fédérer autour de tee-shirts, casquettes, tote bags et quelques produits d’artisans qui ont du sens pour elle, comme cette cuillère en bois de Léa Laborie ou les tasses en céramique de Judith Lasry, la céramiste qui a composé la vaisselle du restaurant.